Médecins : Arguments à faire valoir en cas de convocation par l’ordre des médecins pour avoir prescrit
Comme nous l’avait annoncé le Dr Grégory Pamart, le 14 juillet dernier, l’Ordre des médecins lance une « vaste campagne nationale », convoquant « des centaines de médecins pour avoir soigné, en conscience, des patients du Covid ». Les faits le confirment, et bien que le chiffre exact soit encore difficile à évaluer, de médecins sont convoqués devant les ordres départementaux pour s’expliquer quant au contenu de leurs prescriptions pour soigner leurs patients du Covid-19. Maître Jean-Pierre Joseph, avocat au barreau de Grenoble, nous explique la situation et livre des éléments de défense à destination des médecins convoqués.
Interview de Maître Joseph, par Xavier Azalbert, en collaboration avec Jean-Luc Duhamel et Héloïse Bocchio, et en partenariat avec les associations Bonsens.org, AIMSIB et le collectif Santé Justice France.
Interview complète à lire sur FranceSoir ici
Pour rappel, une plainte a été déposée par des médecins contre le président de l’Ordre national des médecins pour avoir empêché les médecins de prescrire les traitements reconnus comme efficaces contre le Covid-19. Un juge d’instruction est saisi. La plainte est disponible ici.
Arguments de Me Jean-Pierre Joseph,
avocat au barreau de Grenoble
1.Vous êtes libres de prescrire : c’est un principe fondamental reconnu par la loi
1.1. La liberté de prescrire du médecin relève d’un principe général du droit qui a une valeur législative
La liberté de prescrire a été reconnue par le Conseil d’État (CE) comme un principe général du droit (CE, 18 février 1998, n°171851, voir annexes 1.1. et 1.3.).
Elle figure dans le Code de la santé publique (CSP) (articles L. 5121-12-1 et R. 4127-8, voir annexe 1.1.), dans le Code de la sécurité sociale (article L. 162-2, voir annexe 1.2.) et dans le Code de déontologie médicale (article 8, voir annexe 1.2.).
Selon le Conseil d’État, les recommandations du ministre de la santé (qui tentait d’interdire la prescription du Plaquénil) :
« ne font en rien obstacle (à) une prescription beaucoup plus large, sur le fondement de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de covid- 19 » (CE, 22 avril 2020, voir annexe 1.1. et 1.3.).
Puisque les thérapeutiques que le ministre de la santé a tenté d’interdire sont efficaces, celui-ci et les médecins complices se rendent coupable de délaissement et/ou de complicité. Une plainte a été déposée par des médecins contre le Président de l’Ordre national des médecins pour avoir empêché de prescrire. Un juge d’instruction est saisi.
1.2. La prescription hors AMM n’est pas illégale
C’est ce que prévoit le code de la santé publique (article L. 5121-12-1) et qu’a confirmé le Conseil d’État en 2021 au sujet du Plaquénil :
Selon le Conseil d’État, en l’absence de recommandation temporaire d’utilisation et d’alternative médicamenteuse appropriée ayant d’une AMM ou une ATU, le Plaquénil pouvait être prescrit pour une autre indication que celles de son AMM, à la condition qu’en l’état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.
(CE, 28 janv. 2021, no439764 A, voir annexe 1.1. et 1.3.)
- Une prescription hors AMM n’est pas, en soi, illégale et ne caractérise pas, à elle seule, une faute disciplinaire (CE 19 juillet 2011, no334546, voir annexe 1.3.).
- En l’absence d’autorisation ou de cadre de prescription compassionnelle dans l’indication considérée, la prescription hors AMM est licite à la double condition que :– Il n’existe pas d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une AMM ou d’une autorisation d’accès précoce ;
- Le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.(article L. 5121-12-1-2, CSP, voir annexe 1.2.).
- L’ordonnance doit porter la mention « Prescription hors autorisation de mise sur le marché », ce qui implique d’informer le patient que le médicament est prescrit hors AMM et de lui exposer les risques encourus, des contraintes et des bénéfices attendus du médicament.
- La charge de la preuve pèse sur la juridiction ordinale (chambres disciplinaires des conseils régionaux et du conseil ordre national de l’Ordre des médecins) : c’est à elle de démontrer que la thérapeutique employée fait effectivement courir un risque injustifié au patient (CE, 4 sept. 2000, no184498, voir annexe 1.3.).
2.Fondement procédural de votre convocation gravement problématique
Invoqué par nombre de courriers de convocation, l’article L. 162-1-19 du Code de la sécurité sociale ne permet aux directeurs de caisse d’assurance maladie de signaler aux ordres médicaux que des faits susceptibles de constituer des manquements à la déontologie (voir annexe 2.1.).
Selon la CNIL :
« Les organismes gestionnaires des régimes obligatoires de base de l’assurance maladie sont autorisés à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel dont la finalité est la lutte contre la fraude interne et les fautes, abus et fraudes» (voir annexe 2.2.).
Si c’était le cas, les médecins se retrouveraient aux ordres des gestionnaires des régimes obligatoires, du ministre de la santé et de l’industrie pharmaceutique.
La convocation que vous avez reçue est donc très probablement illégale d’un point de vue procédural. En effet, le Code de la sécurité sociale vise exclusivement les manquements déontologiques et ne peut pas concerner le contenu des prescriptions qui est libre.
En résumé :
1) Le pouvoir de signalement, donc de transmission d’informations, des directeurs de caisses sont strictement limités aux manquements déontologiques et, s’agissant des données à caractère personnel, aux fraude interne et les fautes, abus et fraudes ;
2) Eu égard au principe de liberté de prescrire, le contenu de la prescription hors AMM par le médecin ne constitue pas une faute déontologique ;
3) Ce texte, rarement appliqué, ne l’a été, à ce jour, que pour des questions de dépassements d’honoraires (rares condamnation par les ordres, voir annexe 2.2.) ou de refus de soin (arrêté du 22 septembre 2011 portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes, voir annexe 2.1.).
3. Les membres des formations disciplinaires du conseil de l’ordre qui vous jugent sont soumis au principe d’impartialité
Le principe d’impartialité, explicité par la maxime : « Nul ne peut être juge et partie », est un principe à valeur constitutionnelle (article 16, Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen).
L’impartialité doit être, à la fois, personnelle (ne pas avoir de préjugés personnels) et fonctionnelle (ne pas être en situation de conflit d’intérêt).
L’obligation d’impartialité s’applique aux membres des juridictions ordinales.
(Cour européenne des droits de l’Homme, 20 mai 1998, affaire Gautrin c. France, voir annexe 3.2. ; CE, 22 décembre 2017, n°390713, voir annexe 3.2.).